Se remémorer le Noël de notre enfance n’est pas forcement un exercice facile … mais je me souviens que la magie était au rendez-vous. L’esprit universel de Noël soufflait aussi dans les fermes du plateau ardéchois. Noel , c’était d’abord le père Noël, puis plus tard la messe de Minuit. Et oui le père Noël connaissait aussi le plateau ardéchois à cette époque… On n’avait pas de cheminée mais un fourneau et à l’angle de ce fourneau, on mettait une planche de bois ou le soir du 24, on déposait une chaussure. Comme partout ailleurs, la nui du 24 au 25, le père Noël nous livrait un cadeau. On était très impatient de se lever pour découvrir notre cadeau, LE CADEAU , certainement l’unique cadeau de l’année alors c’est dire la valeur qu’il avait ..Cela pouvait être une poupée, une dînette un jeu de chevaux, un jeu de mille bornes… en grandissant, le cadeau devenait utile : un dictionnaire Larousse pour après disparaître une fois que nous étions devenus « trop grands ». Avec le cadeau, dans la chaussure on avait quelques papillotes, une orange …. Je me souviens surtout que les meilleures papillotes étaient les papillotes Revillon … les connaisseurs ne me contrediront pas.
Avec l’école, on découvrait qu’il y avait d’autres traditions attachées à Noël, spécialement la crèche et le sapin. Aussi, en grandissant, nous voulions que Noël ressemble aux Noel de nos livres … Pour un Noël, j’avais demandé une crèche comme cadeau. Avec la crèche, on percevait le côté « spirituel » de l'évènement, sans en comprendre véritablement la portée. Je me souviens que, dans le noir, une simple bougie allumée, j' essayais de "méditer" sur le mystérieux sens de noël… je pense que la seule idée que je percevais de cet évènement, c’était Jésus venant sur terre pour faire du bien.
la foret était bien derrière la maison
Quand au sapin, quand nous avons décidé un jour de l’introduire dans nos traditions, nous allions en foret couper un sapin… la foret était derrière la maison. C’était si simple, nous ignorions que c’était tout de même interdit car la foret ne nous appartenait pas …Enfin, je ne sais qui aurait pu nous verbaliser en hiver sur le plateau ardéchois ! Pour ce qui est du repas, je n’ai aucun souvenir particulier … pas de ripaille …peut être notre seul luxe était le gâteau de Savoie (sorte de génoise) que ma mère faisait de temps en temps pour des évènements exceptionnels.
Il y eut une époque où le groupes de jeunes du village donnait un spectacle pour Noël avant la messe de minuit Nous préparions en automne des chants, des pièces de théâtre en fonction du talent de chacun . Ce spectacle était payant … et l’argent du spectacle nous servait à faire un voyage en été … c’est ces spectacles qui ont financé nos premiers voyages à l’ETRANGER (voyage que nous faisions en car et ou nous campions) … l’Italie , l’Espagne …si franchir une frontière aujourd’hui peut être si banal … à l’époque, c’était un vrai évènement … comme si entre deux frontières, tout changeait …quelle ne fut pas ma surprise de constater la banale continuité du paysage entre deux pays… On se dit parfois que l’ignorance rend la vie plus belle , plus savoureuse , plus magique …. La connaissance en démystifiant les choses, en les mettant a notre portée leur enlève … cet esprit de Noel (c’était ma minute philosophique connectée à Noël !)
Plonger dans
ses souvenirs d’enfance, c’est comme soudain se mettre à lire un vieux
livre connu, découvert au fond du grenier. Parfois les mots sont
effacés, parfois les pages sont déchirées, mais certains paragraphes sont
presque aussi clairs que s’ils sortaient de l’imprimerie. Pourquoi ces
paragraphes-là sont restés? Quel tri mystérieux peut bien s’opérer
au fil de ces années ? L'encre n’était pas de qualité égale ? Qui a bien pu arracher telle page ?
Ce livre car ancien, soudain nous passionne. Pourtant, on croyait l’avoir
plutôt oublié. Il nous parle de nous, il éclairerait même soudain notre présent. Non, définitivement, il ne nous
laisse pas indifférent. D’un seul coup, on le chérit. On a peur de perdre les
pages encore intactes faites de luminosités et d’atmosphères
indescriptibles, de détails incongrus, d’objets inoubliables , de
sentiments tenaces ou flous , légers ou douloureux … il est
un détail troublant, il semblerait qu’en le relisant, on aurait tendance
à transformer un peu son contenu.
Avec
notre regard d’adulte, qui de plus connait le monde contemporain,
on prend soudain conscience que les années 60-70 de notre enfance
paysanne ne furent pas banales. Ce furent des années
charnières dans le monde rural qui bascula soudain dans la modernité :
route, électricité, voiture, machines-outils, éducation, … Le monde
paysan qui nous avait bercé s’en allait, un monde paysan fait de
labeur, d’abnégation, d’économie mais aussi de convivialité avec ses fêtes, ses
foires, ses veillées …
Je suis trop réaliste pour le magnifier et pourtant, je suis aussi trop
consciente de la richesse qu’il a donné à ma vie … Est ce que j’envierai
l’enfance urbaine actuelle de mes enfants, de mes neveux ? … Je suis
obligée de reconnaitre qu’elle manque de saveur, quelle manque de
l’effort qui fait que ce qui est obtenu par l’effort a du
prix.
Nous étions 3 enfants
De
cette enfance qui s’est passé avec en quelque sorte, les deux pieds dans
le monde paysan mais avec la tête chaque fois plus imprégnée du monde citadin
et moderne, nous avons gardé je crois au fond de nous-mêmes, cette
capacité de s’émerveiller, de se laisser surprendre encore par la
vie et d’en apprécier sa variété. Nous avons hérité de cette nécessité
d’aller à l’essentiel. De manière surprenante aussi, un manque
d’aisance, une certaine gaucherie, un sentiment d’infériorité, d’inadéquation
par rapport aux gens de la ville nous colle toujours un peu à la
peau. Même si le temps nous a permis peu à peu de superer
tout cela, il y a toujours un peu du « paysan » en nous, dans nos
gestes, dans notre mode de pensée.
Plonger
dans ses souvenirs d’enfance, ce n’est pas seulement entretenir une
certaine nostalgie du passé, c’est aussi, étrangement, tisser un lien entre les
générations futures qui ne doivent pas oublier leurs origines
(c’était en partie ce qui a motivé ma démarche dans ce blog)
L'heure de la retraite avait sonné pour mes parents ...Ils allaient avoir 60 ans ...Mon père et ses sœurs propriétaires de la ferme que nous exploitions se résolurent à la vendre à un jeune agriculteur du village
C'est un moment clé de l'histoire de notre famille :Notre ferme était vendue ...le seul morceau de terrain qui nous reste sur ce plateau , c'est une concession au cimetière du Béage !
L'observation peut paraitre légèrement cynique, je vous l'accorde ... On comprends bien que la terre est quelque chose de cher à une âme de paysan ...vendre ses terres, c'est mourir un peu je pense ...
Cette fois-ci , mes parents ne pourraient plus reculer ... Ils déménagèrent dans un petit village de Haute-Loire : Pradelles
Notre héritage paysan en quelque sorte n'allait plus qu'être fait que de souvenirs !
Signature de l'acte de vente par mon père
Repas avec le notaire, le futur propriétaire et la famille pour "marquer" l'évènement
Combien de fois la ferme a -t-elle été vendue depuis ? je ne sais pas mais je sais qu'elle a connu plusieurs propriétaires ! Un jour, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans une une agence immobilière du Monastier (43) l'annonce suivante ... c'était notre ferme ....Vous noterez son atout principal : une vue extraordinaire !
on est en juin 2014 et que trouve-t-on sur le web ! une fois de plus notre ferme a vendre
... le décor intérieur a beaucoup changé
A quelques exceptions près , les fermes du plateau ardechois avaient 2 destins possibles :
- Soit elles terminaient en ruines après le départ de leur propriétaire ...les terres étaient rachetées pour agrandir une exploitation existante
- Soit elles étaient adoptées par un citadin qui en faisait sa résidence secondaire (les terres étaient également vendues) ...Alors, elles connaissaient une nouvelle vie ...mais parfois l'adoption étaient de courte durée ...car quand le coup de foudre était passé ...il fallait un amour plus profond pour continuer à vivre avec ces vieilles bâtisses
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TROUILLARD La ferme ou est né mon grand-père, à Tousières .... le toit de chaume "battait de l'aile" ....aujourd'hui il doit rester quelques pierres et des herbes folles en été
Au fur et a mesure que je redécouvre et que je vous partage ce qui a fait notre vie sur le plateau ardéchois dans les années 60-80 …vous pourriez penser que pour ces paysans, l’attachement à leurs terres, à leur mode de vie était inconditionnel … ou plutôt inéluctable …que finalement, la vie était belle, avec cette coloration rustique, authentique et naturelle …
En fait, pour mes parents qui sont nés et qui on grandi sur ce plateau ardéchois rugueux et austère, il y avait toujours le rêve de vivre ailleurs…si bien qu’ils ont passé leur vie avec l’intention de partir … partir pour une ferme dans un région au climat plus clément ou partir pour quitter ce monde paysan ou le travail n’avait pas de fin pour un monde ou le travail avait des limites (c’était alors le monde ouvrier)
Quelques voyages au-delà de ces terres, la venue des premiers touristes, la visite des cousins de la ville qui étaient ouvriers ou fonctionnaires nous faisaient miroiter une vie ailleurs plus facile , plus riante, plus colorée …et ce n’était pas une illusion car la vie était vraiment plus facile ailleurs …Le point le plus noir de cette vie de paysan sur le plateau ardéchois était le climat qui rendait le quotidien difficile surtout en hiver et qui ne permettait pas une productivité agricole suffisante pour avoir un niveau de vie en phase avec, ne serait ce que la classe ouvrière de l’époque …
D’ailleurs, l’état et l’Europe ayant pris conscience de ces problèmes, développèrent une politique dite « politique de la montagne » dont la finalité était de permettre aux populations locales de vivre mieux au pays. Cela s’est concrétisé notamment par une agriculture subventionnée pour compenser les handicaps naturels. Pour justifier de telles aides, on expliquait aux paysans qu’ils n’étaient pas seulement des paysans mais des jardiniers d’un espace naturel à la disposition de tous ... Et en quelque sorte, ils recevaient une rémunération complémentaire pour cela… Cependant, allez expliquer à un paysan qui travaille avec sa femme plus de 12 h par jour, sans vacances, sans weekends, que son travail à lui-seul ne suffit pas à faire vivre sa famille … que finalement, avec le temps, sans ces aides, son exploitation n’est plus viable …
Pour mes parents la peur de l’inconnu, la crainte de ne pas s’en sortir financièrement ont eu raison de leurs rêves. Je dois avouer qu’en tant qu’enfants, ils nous avaient communiqué cette crainte si bien que je n’imaginais pas leur vie ailleurs …je me souviens encore avec quel soulagement j’apprenais qu’ils renonçaient à tel ou tel projet pour continuer leur vie à la ferme.
Cependant, nous les enfants nous étions la nouvelle génération et il était clair dans la tête de mes parents que notre vie ne serait pas à la ferme. Mon père avait bien intégré que l’école était la voie par excellence pour une vie meilleure et il n’eut pas de mal pour nous en convaincre.
Aucune politique agricole d’aide des zones défavorisées, aucun paysage si beau soit-il n’ont pu enrayer la désertification inexorable du plateau ardéchois …
Il n’est pas d' évocation plus "romantique" de cet exode rural, que cette magnifique chanson de jean Ferrat ...cependant, je ne suis pas sure qu'au fond de son cœur, un paysan ait pu écrire de telles paroles ...On reconnait bien l'urbain qui a adopté une terre sans en adopter ses travers (avec tout le respect que je porte à Monsieur Ferrat ). Mais est ce qu'on demande a une chanson de nous dire toute la vérité, n'existe-t-elle pas aussi pour nous faire rêver !
LA MONTAGNE
« Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux ça n’était pas original
Quand ils s’essuyaient machinal
D’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tomme de chèvre
Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver?
….
Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l’autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n’y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie
Leur vie ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones »
Nb : Évolution démographique de la population du Béage
La commune du Béage s'étend sur 32,8 km² et compte 318 habitants depuis le dernier recensement de la population datant de 2006, ce qui fait une densité de 9,7 habitants par km².